jeudi 7 octobre 2004

Police: Retour sur une bavure

Le 1er janvier, la police avait gazé une famille qui fêtait le nouvel an dans un bar parisien. Un avis accablant a été rendu sur cette intervention.

Désormais, on ne parlera plus d’« intervention controversée ». Mais bien de bavure policière. Saisie, en janvier 2004, par Nicole Borvo (sénatrice PCF) et Christophe Caresche (député de Paris), la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) s’est penchée sur l’histoire de ce réveillon familiale dans un bar parisien qui avait viré au cauchemar après lmusclée de la police (l’Humanité du 23 janvier 2004). Résultat : son avis, rendu le 6 octobre, appuie en partie la version du propriétaire de l’estaminet. Et fustige l’attitude des forces de l’ordre.

Que s’est-il passé cette nuit du 1er janvier ? Mohand Amiar, le patron du Bar des Postes de la rue Clignancourt (18e), avait organisé une petite fête privée dans son établissement. Rideau de fer baissé « aux trois quarts », des femmes, des enfants, des grands-parents. Juste la famille et quelques amis. Une trentaine de personnes en tout. Vers 3 heures du matin, la soirée dégénère. Des frères éméchés s’engueulent dans la rue. Deux policiers du commissariat d’en face interviennent. Mohand Amiar sort pour s’expliquer. Il est rabroué, puis jeté à terre. Les coups de matraque pleuvent et des renforts de la brigade anticriminalité (BAC) arrivent immédiatement sur les lieux. C’est l’engrenage. Un policier vide une bombe lacrymogène à l’intérieur du bar en maintenant la porte fermée. Tout le monde à l’intérieur suffoque.

Les pompiers accourent. La grand-mère finit aux urgences. Une jeune femme a le ménisque fracturé par un coup de pied policier. Mohand Amiar et l’un de ses frères se retrouvent en garde à vue. Ils y resteront plus de quarante heures sans pouvoir appeler leur avocat. En comparution immédiate, ils écoperont finalement de deux mois de prison avec sursis pour « violences aggravées ». Avec fermeture administrative du bar pendant deux mois. Plus dramatique encore, un artiste suédois, lui aussi aspergé de gaz lacrymogène pendant la soirée, décédera quelques heures plus tard d’un arrêt cardiaque dans l’escalier de son domicile.

Aujourd’hui, la CNDS ne porte « aucune appréciation » sur la réalité des violences policières, les différentes poursuites judiciaires n’étant pas closes. Mais elle reconnaît implicitement ce dérapage ahurissant. La CNDS « tient pour établi qu’un ou plusieurs fonctionnaires de police (...) se sont livrés à une agression en projetant du gaz lacrymogène sur un groupe de personnes (...), parmi lesquelles se trouvaient des femmes, des enfants, et qui participaient de manière pacifique à une fête familiale ». Concernant l’identité des auteurs, « aucune recherche, constate la commission, n’a été effectuée par l’IGS à partir de l’enregistrement du trafic radio ou à partir de la comptabilité administrative » des bombes lacrymogènes affectées aux policiers.

La CNDS épingle aussi l’attitude de la hiérarchie policière. Le capitaine de police, témoin direct de ce gazage illégal, n’a pas pris la peine de prévenir le procureur de la République comme le Code de procédure pénale l’y oblige. Pis, les fonctionnaires de police présents n’ont pas pris la peine de porter secours aux personnes incommodées par le gaz. « Ils se sont empressés de rentrer dans le commissariat », déplore la commission, qui souligne qu’aucun policier n’a appelé les pompiers, prévenus par l’un des membres de la famille Amiar. Enfin, la CNDS se refuse à faire un lien direct entre le gazage et la mort de l’artiste suédois. Mais observe, cependant, « que la violence dont il a été victime n’a pu qu’aggraver le risque mortel auquel il était exposé ». Pour le moins.

Plusieurs enquêtes administratives sont réclamées par la CNDS qui a transmis son avis au procureur de la République.

Laurent Mouloud